Mariage pour les couples de même sexe Examen en Commission des Affaires sociales

14 janvier 2013

En Commission des Affaires sociales, lundi 14 janvier, en tant que Rapporteure, j’ai présenté le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Je vous propose de prendre connaissance de mon intervention.

Madame la présidente, mes chers collègues.

La présentation du contenu du projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe pourrait presque paraître superflu à cette heure. Je pourrais même être tentée de détailler plutôt ce qu’il n’est pas parce que, sur ce texte et depuis maintenant plusieurs mois, chacun y est allé de ses interprétations, de ses commentaires, de ses arrières pensées politiques, de ses angoisses ou encore de ses croyances. Que n’a-t-on pas entendu sur ce projet ?

Or quel est le contenu du projet ? Contrairement à ce qu’ont martelé certains, le projet maintient le mariage tel qu’il existe actuellement. Il ne fait qu’ apporter les mêmes garanties à toutes les familles et établir l’égalité des couples. De ce fait, le projet de loi consiste à lever deux impossibilités pour les couples homosexuels : l’impossibilité de se marier et l’impossibilité d’adopter conjointement. Ce projet de loi régit –est-il encore utile de le rappeler ?- le seul mariage civil. En effet, la République légifère dans l’intérêt de la société et de la protection de ses citoyens y compris des homosexuels, de TOUS ses citoyens, dans l’intérêt des conjoints et des enfants et non pour défendre une conception religieuse de la famille. Les Françaises et les Français savent que les cérémonies religieuses du mariage obéissent à d’autres exigences dans le respect des croyances de chacun.

L’article premier du projet de loi ouvre ainsi le mariage civil aux personnes de même sexe. En donnant la possibilité de se marier aux personnes de même sexe, le présent projet de loi leur ouvre la voie à l’adoption conjointe. Il faut noter que les possibilités d’adoption conjointe resteront limitées compte tenu du faible nombre d’enfants adoptables en France comme à l’étranger et du refus d’un grand nombre de pays de confier des enfants à des couples homosexuels. C’est donc vraisemblablement l’adoption de l’enfant du conjoint qui sera privilégiée, et qui va permettre à un grand nombre de « parents sociaux » de voir enfin reconnu leur lien de filiation avec les enfants qu’ils élèvent.

Je tiens à rappeler qu’il restera impossible qu’une adoption par le nouveau conjoint d’une personne ayant eu un enfant d’une précédente union hétérosexuelle se substitue à la filiation d’origine vis-à-vis de l’autre parent. Seule l’adoption simple sera possible, et seulement à condition que les deux parents légaux donnent leur accord.

En revanche, il me semble utile de permettre explicitement l’adoption plénière ou simple d’un enfant déjà adopté par le conjoint afin d’éviter des interprétations jurisprudentielles divergentes. C’est l’objet d’amendements que je soumets à votre examen.

Les articles 2 et 3 modifient les modes de dévolution du nom patronymique pour l’adoption plénière d’une part, et pour l’adoption simple d’autre part, en les adaptant aux doubles filiations de même sexe. En définitive, les règles de dévolution du nom de famille seront différentes seulement en cas de désaccord ou d’absence de choix des parents.

Les articles 4 à 21 tirent les conséquences de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe dans de nombreux codes et textes législatifs. Il s’agit, lorsque cela est nécessaire – c’est-à-dire lorsqu’une disposition doit s’appliquer à tous les couples mariés mais que sa rédaction actuelle ne le permet pas, de remplacer les termes « père et mère » par le mot « parents ». Le Gouvernement a choisi de n’opérer ces coordinations que lorsqu’elles étaient indispensables. Ainsi, les mots « père » et « mère » continueront à demeurer dans notre législation, contrairement aux affirmations un peu rapides de certains des opposants au projet.

Le présent projet de loi a des impacts en termes de droits sociaux : D’une part, certains droits liés au mariage se trouvent automatiquement ouverts aux couples de personnes de même sexe qui se marieront : c’est le cas, par exemple, de la pension de réversion ;

D’autre part, certains droits liés à la qualité de père ou de mère doivent être adaptés aux parents de même sexe : c’est le cas par exemple du congé d’adoption qui sera accordé à l’un ou l’autre des parents assurés ou aux deux s’ils décident de se répartir la période d’indemnisation.

Par ailleurs, outre des amendements de coordination, je vais soumettre à votre examen un amendement touchant le code du travail et visant à permettre à un ou une salariée mariée à une personne de même sexe de refuser une mutation dans un pays condamnant pénalement l’homosexualité sans craindre une quelconque sanction.

Certains se demandent pourquoi le mariage, qui est un statut familial maintenant minoritaire dans une société française qui a évolué, devrait être ouvert aux homosexuels ?

C’est très simple : pour la République, l’homosexualité n’est pas une maladie, n’est pas une perversité, n’est pas le résultat d’un ratage ou de « mauvaises fréquentations ». La République considère l’homosexualité simplement comme une façon de vivre sa sexualité.

À travers ce projet de loi, il s’agit donc de permettre à chaque couple de construire sa vie en faisant le choix du mariage, du PACS ou du concubinage. Il s’agit de faire une place pour chacun dans le projet républicain. Sans communautarisme, ni particularisme, puisque la loi ne crée pas de nouvelles situations, mais encadre celles qui existent. Il ne s’agit pas en effet de créer un droit spécifique, mais d’intégrer les homosexuels dans le droit commun. Il s’agit de les traiter comme les autres, comme tout le monde.

Personne n’y perdra et beaucoup y gagneront en dignité et en sécurité. Dignité puisque le projet de loi permet l’accès au mariage, c’est-à-dire l’accès à la norme dans l’égalité. Cet accès à la norme se fait dans les mêmes conditions pour tous : mêmes interdits, mêmes repères et mêmes protections. Même si, dans les faits, le nombre de mariages entre personnes de même sexe sera peut-être limité, même si des attitudes rebelles ou alternatives demeureront, comme d’ailleurs pour les couples hétérosexuels. Personne n’est obligé de se marier mais chacun doit en avoir la possibilité.

Sécurité parce que le mariage est une institution républicaine qui permet de reconnaître et de protéger les couples et leurs familles.

Ce projet de loi est un texte historique, il fait tomber un bastion de la stigmatisation. Que d’évolution ! Le Pacte civil de solidarité (PACS) était d’origine parlementaire, aujourd’hui c’est le gouvernement qui dépose un projet de loi ! Aujourd’hui, il nous est proposé de faire un pas en direction de l’égalité, de l’égalité des droits réels pour tous les couples y compris les couples de même sexe. C’est un pas supplémentaire dans la reconnaissance du couple homosexuel. C’est un pas qui va modifier nos représentations en intégrant dans la norme des réalités sociales déjà existantes. C’est un pas dans le combat jamais achevé de l’égalité des droits et de l’égalité des dignités.

N’hésitons pas à regarder les pays qui ont ouvert le mariage et l’adoption aux couples de même sexe et que constatons-nous ? Aucun bouleversement majeur de la société, les familles homoparentales sont simplement entrées dans la normalité. C’est le constat que j’ai pu faire avec plusieurs collègues quand nous nous sommes rendus à Bruxelles (17 décembre 2012) pour rencontrer des médecins, des sénateurs belges ainsi que des parlementaires européens de divers pays ayant légalisé le mariage pour les couples de personnes de même sexe et l’adoption. Il ressort de ces échanges une impression de simplicité des réformes et de banalité des situations qu’elles ont légalisées. Nul part dans ces pays le « chaos » tant annoncé n’est survenu, comme d’ailleurs il ne s’était pas davantage vérifié en France après le PACS n’en déplaise aux opposants d’hier qui sont les opposant d’aujourd’hui.

Ne nous laissons pas abuser par la rhétorique des opposants : le débat a bien eu lieu.

Le débat a eu lieu lors des grandes échéances électorales de 2012 avec les engagements du candidat François HOLLANDE validés par les électeurs. Le débat a eu lieu lors des nombreuses auditions menées par les deux rapporteurs dont certaines étaient retransmises sur le site de notre Assemblée. Le débat a eu lieu et a encore lieu dans les colonnes des journaux où les tribunes et les prises de position se multiplient depuis plusieurs mois. Le débat a eu lieu dans les réunions ou rencontres publiques organisées localement dans toute la France à l’initiative des défenseurs comme des opposants au projet. Le débat a eu lieu au sein des groupes parlementaires et avant tout dans le mien, vous en avez même commenté abondamment les étapes. Enfin le débat a lieu depuis plus de dix ans au sein du Parlement, avec des propositions de lois régulières sur le sujet. Je peux même dire que la manifestation d’hier à Paris est une expression de ce débat. Chacun a pu exprimer son point de vue.

Enfin, quand en 2009, l’ordonnance de 2005 a été rendue définitive et a mis sur un pied d’égalité enfant légitime et enfant naturel, simple adaptation bienvenue de notre droit à la réalité sociale, mais véritable révolution dans le droit de la filiation, où étaient tous ceux qui aujourd’hui réclament un référendum ?

Alors, peut-on aujourd’hui réformer le mariage en France ? Tous les textes écrits par les êtres humains, mêmes les plus anciens comme notre code civil, ont évolué. Aucun n’a été figé pour l’éternité. Le droit a su prendre en compte les faits sociaux pour les encadrer et instituer des repères. Il en est de même du mariage qui a constamment changé pour incarner, à chaque époque, l’idéal du couple que se donne une société.

C’est ainsi que le mariage n’est plus cette institution machiste, inégalitaire et hypocrite où était instituée la primauté du masculin et où la femme était cantonnée à une sexualité procréative. Le mariage est devenu libre et consenti librement. L’égalité des droits a remplacé la hiérarchie des sexes. Chacune des réformes du mariage civil depuis le 18ème siècle a marqué le progrès des libertés individuelles : le divorce pour faute du 19e siècle, puis le divorce par consentement mutuel du 20e siècle ; la suppression du régime matrimonial de la dot (1966) ; le remplacement de la puissance paternelle par l’autorité parentale (1970) ; plus récemment encore, l’instauration d’une autorité parentale conjointe entre les parents même après séparation (2002) ou la suppression de toute différence entre enfants légitimes et enfants naturels (2005).

L’idée même que le mariage, la sexualité, la procréation et la filiation formaient un tout indissociable a connu de plus en plus de remises en causes. Citons, par exemple : la contraception et l’assistance médicale à la procréation (AMP) qui ont séparé la sexualité de la procréation ; le concubinage aujourd’hui majoritaire dans la société qui a séparé le mariage de la sexualité et de la procréation ; l’adoption plénière (1966) qui a séparé la filiation de la procréation ; la fin des différences de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels qui a séparé le mariage et la filiation.

Le mariage homosexuel marque ainsi une étape de plus dans un mouvement historique qui place la liberté de choix individuel et le sentiment amoureux du couple au cœur du mariage.

Mais, au-delà, votre rapporteure est convaincue que ce projet de loi va non seulement renforcer le mariage, mais également la famille et s’inscrit donc dans l’intérêt de l’enfant

La famille n’a pas de définition juridique, elle est un phénomène social et sociologique. La famille est presque toujours un point d’ancrage et de sécurité, un soutien en temps de crise, mais elle connait des bouleversements qui l’ont fait s’écarter du modèle unique du papa, de la maman et des enfants ; c’est pourquoi, aujourd’hui, la famille se conjugue au pluriel.

Il existe des couples sans projet d’enfant, il existe des mariages tardifs sans enfant, il existe des familles d’adoption, des familles à enfant unique, des familles monoparentales, il existe des familles hétéroparentales où les enfants ne vont pas bien, bref, la différence des sexes et la capacité procréative n’ont jamais été des garanties de stabilité et d’épanouissement de l’enfant. Ce qui compte c’est l’affection, les conditions économiques dont bénéficient les parents, l’accès à l’éducation et à la santé.

Dans cette diversité, il existe aussi des familles homoparentales. Et l’impossibilité juridique pour un enfant d’avoir deux parents de même sexe est en décalage avec cette réalité. Ces familles se sont constituées d’abord en élevant des enfants issus de précédentes unions hétérosexuelles, puis, de plus en plus, avec des enfants conçus ou adoptés dans le cadre de projet « homoparentaux ». Il y a incontestablement un effet générationnel : les homosexuels parlent de leur désir d’enfant, font des projets parentaux. L’homoparentalité est devenue non seulement possible mais réelle. Et parmi les familles homoparentales, on trouve déjà toutes les configurations des familles hétéro-parentales : adoptives, recomposées, en concubinages, célibataires, avec des enfants nés par assistance médicale à la procréation (AMP). Comme les hétéros, les familles homoparentales connaissent toutes ces configurations, les mêmes joies comme les mêmes peines.

Mais, si de nombreux enfants sont élevés par deux personnes de même sexe, seule une des deux est leur parent au sens légal. Les auditions, menées par vos rapporteurs, des chercheurs comme des familles elles-mêmes, ont fait ressortir que le seul problème, pour ces enfants comme les autres, porte sur les discriminations dont ils peuvent être victimes du fait de leur situation familiale. Comme le PACS a changé la perception de l’homosexualité dans la société, le mariage accentuera ce changement. Car la loi va permettre de rendre « normal » ce qui était auparavant jugé par le regard de la société, par le regard de l’autre, comme « anormal ». Je pense aux enfants qui ne seront plus « à part » parce que leurs parents seront légitimes, parce que leur famille sera protégée.

Le projet de loi renforcera donc la famille, car de plus nombreuses familles verront leurs droits assurés. Et l’intérêt de l’enfant, c’est d’avoir des parents légitimes et reconnus ; ces parents qui, comme dans toutes les familles, l’ont désiré et qui l’entourent de leur protection et de leur amour. Aujourd’hui, l’arrivée de l’enfant est mieux préparée, car expression d’un véritable projet parental. La procréation est maîtrisée, et s’il existe des familles où les enfants n’arrivent jamais par hasard, c’est bien les familles homoparentales ! Dans ces familles, les enfants sont le fruit obligé d’un projet, d’une mûre réflexion. Les références masculine et féminine ne sont pas absentes, mais elles existent en dehors des seuls parents. Car les familles homoparentales ne sont pas seulement « nucléaires », elles ne vivent pas en vase clos, mais au sein d’un tissu social comme toute les familles.

La famille sera d’autant plus renforcée qu’elle marchera enfin sur ses deux pieds : le biologique et le social. Car il faut accepter, contre la dictature du tout biologique, la part de social dans la parenté, part d’ailleurs qui a toujours existé. Aucune famille homoparentale ne souhaite inventer de nouvelles fictions et entretenir l’idée qu’un enfant puisse naître de deux femmes ou de deux hommes. Au contraire, elles révèlent comment le social participe à la parenté et comment le sens de l’intérêt de l’enfant ne doit pas toujours aller dans le sens du seul lien biologique.

Je le répète : la loi ne crée pas un mariage gay, mais elle fait entrer les couples homosexuels dans le droit commun, dans l’universalité de la loi, dans la « normalité ».

Le projet de loi ne crée pas de familles homosexuelles, mais il reconnaît ces familles qui existent déjà. Elle se saisit des réalités de la société. Car les changements sont déjà là. Le modèle du couple hétérosexuel n’est pas unique, il est donc urgent de penser ces changements, de les encadrer plutôt que de les nier.

Par ailleurs, être un couple ou une famille homosexuels n’est pas encore évident. La loi permettra de rendre moins difficile, moins solitaire et moins injuste la vie de ces couples et de ces familles. La loi normalisera le fait que la différence de sexe n’est plus la seule base du désir, de la sexualité et de la famille : un couple homosexuel, même minoritaire, sera désormais aussi légitime qu’un couple hétérosexuel, même majoritaire.